Heureux comme un académicien français à Gournay
Extrait d’un Essais par René-Louis de Voyer Marquis d’Argenson
« Essais dans le goût de ceux de Michel (de) Monta(i)gne, ou Les loisirs d’un ministre d’État » (par le Marquis d’Argenson, édités par son fils le Marquis de Paulmy[1] à Paris et reédité à Bruxelles en 1788. Le Ministre d’état en question est bien le Marquis d’Argenson (1694-†1757) qui fut secrétaire d’état aux affaires étrangères de Louis XV.
L’Abbé Alary (1689-†1770)
Comme il ne lira pas ce que je vais écrire, je parlerai de lui très-naturellement. …..
Il fut reçu à l’Académie Française dès 1723 ….
Dans la première enfance de feu M. le Dauphin, l’Abbé Alary fut nommé Instituteur de ce Prince, c’est-à-dire qu’il fut chargé de lui apprendre à lire, lorsque ce Royal Enfant était encore entre les mains des femmes. Cependant quand M. le Dauphin passa entre les mains des hommes, l’Abbé Alary n’entra point dans l’éducation sérieuse de cet héritier de la Couronne ; je crois que quelques soupçons d’ambition et d’intrigue lui firent du tort.
L’ENTRESOL
L’Abbé avait formé un petit établissement, dont l’histoire, déjà inconnue à bien des gens, sera bientôt oubliée de tout le monde ; elle mérite pourtant que je l’écrive. C’était une espèce de Club à l’Anglaise, ou de Société politique parfaitement libre, composée de gens qui aimaient raisonner sur ce qui se passait, pouvaient se réunir et dire leur avis sans crainte d’être compromis, parce qu’ils se connaissaient tous les uns les autres, et savaient avec qui et devant qui ils parlaient. Cette Société s’appelait l’Entresol, parce que le lieu où elle s’assemblait était un entresol, dans lequel logeait l’Abbé Alary ( actuelle place Vendome)
On y trouvait toutes sortes de commodités, bons sièges, bon feu en hiver, et en été des fenêtres ouvertes sur un joli jardin. On n’y dînait, ni on n’y soupait, mais on y pouvait prendre du thé en hiver, et en été de la limonade et des liqueurs fraîches ; en tout temps, on y trouvait les Gazettes de France ; de Hollande, et même les Papiers Anglais.
En un mot, c’était un café d’honnêtes gens[2]. Mon père y allait régulièrement, et on y a vu des personnes très considérables qui avaient rempli les premiers emplois au-dedans et au-dehors du Royaume : M. de Torcy y venait même quelquefois. Cette coterie, qui paraissait si estimable et si respectable, finit d’une façon à laquelle elle ne devait pas s’attendre……
(un jour l’ambassadeur anglais y vint défendre sa politique que le secrétaire aux affaires étrangères français avait refusé d’entendre)
…Le Cardinal, étant informé de cette aventure, fit défendre, de la part du Roi, à l’Entresol de s’assembler, et depuis ce temps, l’Abbé Alary ne reparut plus à la Cour.
D’ailleurs il a vécu très tranquillement chez lui, étant très assidu aux séances de l’Académie Française, sans pourtant composer aucun ouvrage. Il possédait le Prieuré de Gournay-sur-Marne, à quelques lieues de Paris : ce bénéfice est d’un assez bon revenu, et la maison prieurale est dans une position charmante.
Une vue du prieuré de Gournay depuis l’Est probablement au XVIème siècle. Anonyme
L’Abbé y menait une vie heureuse et même voluptueuse en tout bien et en tout honneur ; il y recevait des femmes aimables et de bonne compagnie, dont il était le complaisant[3], et qui, dans sa vieillesse, voulurent bien être les siennes. A mon avis, sa façon de vivre était digne d’envie.
source https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511610d/f383.item#
© Châteauroux, Musée Bertrand Anonyme français XVIIIe. Portrait de Pierre Joseph Alary, membre de l’Académie de l’Entresol entre 1690 et 1770 Rentré au département des Arts graphiques du Louvre le 20 octobre 2020. Pastel sur papier marouflé sur toile tendue sur châssis. Dimensions H. 0,650 L. 0,545 m. sources : https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl020014221
Académie Française : biographie de Pierre-Joseph Alary n°171
Homme d’Église
Né à Paris, le 19 mars 1689.
Sous-précepteur de Louis XV et protégé de Fleury, il remplaça, le 30 septembre 1723, le président A. de Mesmes et fut reçu par l’abbé Dubos le 30 décembre 1723, sans aucun titre de noblesse, sans aucune dignité ecclésiastique, sans aucun bagage littéraire. « On ne sait trop à quel titre il s’est trouvé assis dans le sanctuaire des Muses, dit Bachaumont, car on ne connaît aucun ouvrage de lui… Cependant il était beau diseur, bel homme et très bien venu des femmes ; ce qui chez plus d’un de ses confrères a tenu lieu de mérite littéraire.»
Alary fonda le club de l’Entresol et fréquenta les cafés Procope et veuve Laurent ; il reçut de Boismont et Lacurne de Sainte-Palaye. Il fut académicien pendant quarante-sept ans.
Mort le 15 décembre 1770.
Source : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/pierre-joseph-alary
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L’éditeur de l’essais le Marquis d’Argenson est un des fils de René-Louis de Voyer de Paulmy Marquis d’Argenson (1694-†1757), qui fréquenta l’Abbé Alary à Paris et à Gournay voir https://www.gournay-historique.fr/2025/05/30/deux-vues-du-prieure-de-gournay-en-1753 ↑
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Parmi ses habitués : Montesquieu, Claude-Adrien Helvétius, d’Argenson et des habituées très nombreuses et moins célèbres. ↑
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Ne vous méprenez pas : « Complaisant » participe présent de complaire signifiant « se rendre favorable aux désirs de quelqu’un ». Le complaisant cherche donc à faire plaisir, à être agréable (à quelqu’un) D’ailleurs l’auteur prend le soin de préciser « en tout bien et en tout honneur ». ↑