Une révolution agricole impopulaire
A partir du XVIII, siècle des Lumières[1] avec les progrès de la science, l‘agriculture s’étudie et se réfléchit.
Planche extraite de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert : L’agriculture/labourage https://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-876-0/

L’agriculture des « Lumières »
Extraits de l’article « Agriculture-Labourage » de l’encyclopédie raisonnée de Diderot et d’Alembert
Pour cultiver les terres avec avantage, il importe d’en connaître la nature : telle terre demande une façon, telle autre une autre ; celle-ci une espèce de grains, celle-là une autre espèce. On trouvera à l’article Terre & Terroir en général ce qui y a rapport, & aux plantes différentes le terroir & la culture qu’elles demandent : nous ne réserverons ici que ce qui concerne l’agriculture en général ou le labour.
1. Proportionnez vos bêtes & vos ustensiles, le nombre, la profondeur, la figure, la saison des labours & des repos, à la qualité de vos terres & à la nature de votre climat.
2. Si votre domaine est de quelque étendue, divisez-le en trois parties égales ou à peu près ; c’est ce qu’on appelle mettre ses terres en soles. Semez l’une de ces trois parties en blé, l’autre en avoine & menus grains, qu’on appelle mars, & laissez la troisième en jachère.
3. L’année suivante, semez la jachère en blé ; changez en avoine celle qui était en blé, & mettez en jachère celle qui était en avoine. Cette distribution rendra le tribut des années, le repos & le travail des terres à peu près égaux, si l’on combine la bonté des terres avec leur étendue. Mais le Laboureur prudent, qui ne veut rien laisser au hasard, aura plus d’égard à la qualité des terres qu’à la peine de les cultiver ; & la crainte de la disette le déterminera plutôt à fatiguer considérablement une année, afin de cultiver une grande étendue de terres ingrates, & égaliser ses années en revenus, que d’avoir des revenus inégaux en égalisant l’étendue de ses labours ; & il ne se mettra que le moins qu’il pourra dans le cas de dire, si sole de blé est forte ou faible cette année.
4. Ne dessolez point vos terres, parce que cela vous est défendu, & que vous ne trouveriez pas votre avantage à les faire porter plus que l’usage & un bon labourage ne le permettent.
5. Vous volerez votre maître, si vous êtes fermier, & que vous décompotiez contre sa volonté, & contre votre bail.
Voyez Décompoter. (Décompoter = changer le mode des semences et le temps des engrais pour la terre).
Le courant physiocratique :
tout pour la terre !
La seconde moitié du XVIIIe siècle, sous l’influence en particulier du courant physiocratique, voit s’épanouir en France une modernisation de l’agriculture, tant dans le domaine des productions végétales que dans celui des productions animales.
Le courant physiocratique est inspiré par François Quesnay (1694-1774) notamment.
La Physiocratie est le gouvernement par la nature et son slogan est « Laisser faire, laissez passer », l’État n’a pas à intervenir dans l’économie.
À l’inverse des mercantilistes, les physiocrates[2] estiment que seule la nature, et donc les paysans, produisent de la richesse. Les propriétaires fonciers vivent du surplus dégagé par les agriculteurs. Quant aux artisans et ouvriers, ils ne font que transformer des produits qui proviennent de la nature et forment donc une « classe stérile » !
Il faut bannir les « servitudes seigneuriales » pour les paysans, et réduire les impôts frappant la production agricole.
Encore fallait-il pour y parvenir que l’État en soit bien conscient et qu’il prenne en conséquence les mesures nécessaires à une telle évolution.
Ce sera l’œuvre de H.L. Bertin (1719–1792) réalisée dans le cadre des trois grandes fonctions qu’il a exercées au cours de ce siècle : Intendant de Lyon (1754–1757), Contrôleur général des Finances (1759–1763), Ministre-Secrétaire d’État à la tête d’un nouveau Département en charge de l’Agriculture et du Commerce (1763–1780).
BERTIN Henri-Léonard
Ministre d’état de l’agriculture et ministre des Mines

Deux séries de mesures peuvent être dégagées de son activité gouvernementale :
- La première concerne la promotion de l’agriculture moderne, qu’il a mise en œuvre notamment en créant deux nouvelles institutions ; il s’agit d’abord des Sociétés régionales d’Agriculture (1760–1765) afin de réunir, dans chaque généralité du pays, les meilleurs agronomes susceptibles de promouvoir les méthodes de la « nouvelle agriculture » ; ensuite des Écoles vétérinaires : Lyon (1761), Alfort (1765), destinées à former dans un contexte agronomique de véritables spécialistes en arts vétérinaires ;
- la seconde a trait aux mesures prises afin d’augmenter la productivité agricole du territoire.
Il s’agit alors, d’une part, d’accroître les surfaces mises en culture (édits de défrichement des terres incultes – 1761) et, d’autre part, d’augmenter la proportion de terres arables réellement cultivées chaque année (édits de suppression de la jachère, de la « vaine pâture » et des communaux).
Ces différentes mesures n’ont été mises en pratique que dans certaines généralités (1767–1768), avant de pouvoir être appliquées ultérieurement à l’ensemble du royaume.
Mais ces mesures sont révolutionnaires et peuvent être très impopulaires selon la façon dont elles sont appliquées.
La révolution agronomique à Gournay-sur-Marne, fut loin d’être en retard sur son temps.
Une révolution trop tôt et contre le peuple.
L’évolution, voire la révolution agronomique se fit sous l’impulsion du sieur Jean-Joseph PAYEN, propriétaire du Chesnay, une ferme de 200ha, ancienne dépendance du Prieuré de Gournay, qu’il a complétement restructurée.
Il est aussi l’homme de confiance de Mme de MARBEUF née Anne Henriette Françoise MICHEL DU THARON, propriétaire de Champs et de Gournay.
Mme de Marbeuf a pris le sieur ROLPOT, comme régisseur de ses deux grandes fermes de Gournay et Haute-Maison.
Il semble que déjà à l’époque Mme de MARBEUF et son régisseur ROLPOT voulurent spécialiser les deux fermes sur les conseils de PAYEN.
À la Haute Maison, les céréales, à Gournay les plantes fourragères et l’élevage bovin, en particulier l’élevage laitier pour livrer du lait cru frais en ville à Paris.
C’est précisément ce que Jules Edouard LUCAS réalisa effectivement en 1905 grâce au chemin de fer.
Pour que l’élevage bovin devienne intensif : les bêtes doivent rester le plus souvent à l’étable, où le troupeau augmente en taille.
L’engraissage de jeunes bovins se fait à l’étable et dans les meilleures prairies semées de plantes fourragères.
La spécialisation a pour but d’atteindre des rendements supérieurs : produire le plus possible dans une surface donnée. Pour cela, elle utilise de nombreux intrants, des assolements, des semences sélectionnées.
Il est ainsi décidé par PAYEN, ROLPOT et MARBEUF qu’une superficie de terres labourables de cent hectares de Gournay serait semée en plantes fourragères pour l’alimentation animale au lieu de céréales destinées à l’alimentation humaine.
On réduisit les jachères en semant à la place des plantes fourragères comme la luzerne qui améliore avantageusement le sol. Mais cela contrariait les vaines pâtures des ovins.
Les surfaces agricoles sont d’avantages semées en plantes fourragères, au détriment des céréales de blé et de seigle.
Il est déjà acquis à l’époque que les plantes fourragères peuvent être mises en silo et que leurs qualités nutritives se conservent mieux que celle de la paille. Mais si elles sont mises en silo que reste -il pour les moutons ?
Reste l’élevage ovin pour la laine : Les ovins sont plus strictement cantonnés aux jachères résiduelles et aux pâtis de moindre qualité.

